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point un être fantastique, cher Docteur ; vous êtes bien réel, un homme créé pour vivre d’ennui et mourir d’ennui un beau jour. Voilà, pardieu, ce que j’aime de vous, c’est que vous êtes aussi triste avec les autres que je le suis étant seul. — Si l’on vous appelle Noir dans notre beau quartier de Paris, est-ce pour cela ou pour l’habit et le gilet noirs que vous portez ? — Je ne le sais pas, Docteur ; mais je veux dire ce que je souffre afin que vous m’en parliez, car c’est toujours un grand plaisir pour un malade que de parler de soi et d’en faire parler les autres : la moitié de la guérison gît là-dedans.

« Or, il faut le dire hautement, depuis ce matin j’ai le spleen, et un tel spleen, que tout ce que je vois, depuis qu’on m’a laissé seul, m’est en dégoût profond. J’ai le soleil en haine et la pluie en horreur. Le soleil est si pompeux, aux yeux fatigués d’un malade, qu’il semble un insolent parvenu ; et la pluie ! ah ! de tous les fléaux qui tombent du ciel, c’est le pire à mon sens. Je crois que je vais aujourd’hui l’accuser de ce que j’éprouve. Quelle forme symbolique pourrais-je donner jamais à cette incroyable souffrance ? Ah ! j’y entrevois quelque possibilité, grâce à un