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vrai service ; et s’il apprend le mal qu’on lui a fait, il a encore sur la bouche un éternel sourire indulgent et miséricordieux. C’est qu’il est heureux comme les aveugles le sont lorsqu’on leur parle ; car si le sourd nous semble toujours sombre, c’est qu’on ne le voit que dans le moment de la privation de la parole des hommes ; et si l’aveugle nous paraît toujours heureux et souriant, c’est que nous ne le voyons que dans le moment où la voix humaine le console. — C’est ainsi que Stello est heureux ; c’est qu’aux approches de sa crise de tristesse et d’affliction, la vie extérieure avec ses fatigues et ses chagrins, avec tous les coups qu’elle donne à l’âme et au corps, lui vaut mieux que la solitude, où il craint que la moindre peine de cœur ne lui donne un de ses funestes accès. La solitude est empoisonnée pour lui, comme l’air de la Campagne de Rome. Il le sait ; mais s’y abandonne cependant, tout certain qu’il est d’y trouver une sorte de désespoir sans transports, qui est l’absence de l’espérance. — Puisse la femme inconnue qu’il aime ne pas le laisser seul dans ces moments d’angoisse !

Stello était, hier matin, aussi changé en une heure qu’après vingt jours de maladie, les yeux fixes, les lèvres pâles et la tête abattue sur la poitrine par les coups d’une tristesse impérissable.

Dans cet état, qui précède des douleurs nerveuses auxquelles ne croient jamais les hommes robustes et rubiconds dont les rues sont pleines,