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n’avait été aussi mat ni aussi plat que le jour où je me trouvai plus tôt que de coutume à la petite boutique de Kitty. Ses deux beaux enfants étaient debout devant la porte de cuivre de la maison. Ils ne jouaient pas, mais se promenaient gravement les mains derrière le dos, imitant leur père avec un air sérieux charmant à voir, placé comme il était sur des joues fraîches, sentant encore le lait, bien roses et bien pures, et sortant du berceau. En entrant je m’amusai un instant à les regarder faire, et puis je portai la vue sur leur mère. Ma foi, je reculai. C’était la même figure, les mêmes traits réguliers et calmes ; mais ce n’était plus Kitty Bell, c’était sa statue très ressemblante. Oui, jamais statue de marbre ne fut aussi décolorée ; j’atteste qu’il n’y avait pas sous la peau blanche de sa figure une seule goutte de sang ; ses lèvres étaient presque aussi pâles que le reste, et le feu de la vie ne brûlait que le bord de ses grands yeux. Deux lampes l’éclairaient et disputaient le droit de colorer la chambre à la lueur brumeuse et mourante du jour. Ces lampes, placées à droite et à gauche de sa tête penchée, lui donnaient quelque chose de funéraire dont je fus frappé.