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DE SERVITUDE MILITAIRE.

— O mon Dieu, si ! Les couplets n’étaient même pas trop bons. J’ai été arrêté le 15 fructidor et conduit à la Force, jugé le 16, et condamné à mort d’abord, et puis à la déportation par bienveillance.

— C’est drôle ! dis-je. Les Directeurs sont des camarades bien susceptibles ; car cette lettre que vous savez me donne ordre de vous fusiller.

Il ne répondit pas, et sourit en faisant une assez bonne contenance pour un jeune homme de dix-neuf ans. Il regarda seulement sa femme, et s’essuya le front, d’où tombaient des gouttes de sueur. J’en avais autant au moins sur la figure, moi, et d’autres gouttes aux yeux.

Je repris :

— Il paraît que ces citoyens-là n’ont pas voulu faire votre affaire sur terre, ils ont pensé qu’ici ça ne paraîtrait pas tant. Mais pour moi c’est fort triste ; car vous avez beau être un bon enfant, je ne peux pas m’en dispenser ; l’arrêt de mort est là en règle, et l’ordre d’exécution signé, paraphé, scellé ; il n’y manque rien.

Il me salua très poliment en rougissant.

— Je ne demande rien, capitaine, dit-il avec une voix aussi douce que de coutume ; je serais désolé de vous faire manquer à vos devoirs. Je voudrais seulement parler un peu à Laure, et vous prier de la protéger dans le cas où elle me survivrait, ce que je ne crois pas.