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DE SERVITUDE MILITAIRE.

sûrement une recommandation pour nous au gouverneur de Cayenne.

— Peut-être, dit-il ; qui sait ?

— N’est-ce pas ? reprit sa petite femme ; tu es si bon que je suis sûre que le gouvernement t’a exilé pour un peu de temps, mais ne t’en veut pas.

Elle avait dit ça si bien ! m’appelant le bonhomme de capitaine, que j’en fus tout remué et tout attendri ; et je me réjouis même, dans le cœur, de ce qu’elle avait peut-être deviné juste sur la lettre cachetée. Ils commençaient encore à s’embrasser ; je frappai du pied vivement sur le pont pour les faire finir.

Je leur criai :

— Eh ! dites donc, mes petits amis ! on a l’ordre d’éteindre tous les feux du bâtiment. Soufflez-moi votre lampe, s’il vous plaît.

Ils soufflèrent la lampe, et je les entendis rire en jasant tout bas dans l’ombre comme des écoliers. Je me remis à me promener seul sur mon tillac en fumant ma pipe. Toutes les étoiles du tropique étaient à leur poste, larges comme de petites lunes. Je les regardais en respirant un air qui sentait frais et bon.

Je me disais que certainement ces bons petits avaient deviné la vérité, et j’en étais tout ragaillardi. Il y avait bien à parier qu’un des cinq Directeurs s’était ravisé et me les recommandait; je