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DE SERVITUDE MILITAIRE.

vilains moments quand je pense à l’avenir, et je ne sais pas ce que deviendra ma pauvre Laure.

Il serra de nouveau la tête de la jeune femme sur sa poitrine :

— C’était bien là ce que je devais dire au capitaine ; n’est-ce pas, mon enfant, que vous auriez dit la même chose ?

Je pris ma pipe et je me levai, parce que je commençais à me sentir les yeux un peu mouillés, et que ça ne me va pas, à moi.

— Allons ! allons ! dis-je, ça s’éclaircira par la suite. Si le tabac incommode madame, son absence est nécessaire.

Elle se leva, le visage tout en feu et tout humide de larmes, comme un enfant qu’on a grondé.

— D’ailleurs, me dit-elle en regardant ma pendule, vous n’y pensez pas, vous autres ; et la lettre !

Je sentis quelque chose qui me fit de l’effet. J’eus comme une douleur aux cheveux quand elle me dit cela.

— Pardieu ! je n’y pensais plus, moi, dis-je. Ah ! par exemple, voilà une belle affaire ! Si nous avions passé le premier degré de latitude nord, il ne me resterait plus qu’à me jeter à l’eau. — Faut-il que j’aie du bonheur, pour que cette enfant-là m’ait rappelé cette grande coquine de lettre !

Je regardai vite ma carte de marine, et quand