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DE SERVITUDE MILITAIRE.

Nous allâmes sans rien dire durant un quart de lieue environ. Comme il s’arrêtait alors pour faire reposer son pauvre petit mulet, qui me faisait peine à voir, je m’arrêtai aussi et je tâchai d’exprimer l’eau qui remplissait mes bottes à l’écuyère, comme deux réservoirs où j’aurais eu les jambes trempées.

— Vos bottes commencent à vous tenir aux pieds, dit-il.

— Il y a quatre nuits que je ne les ai quittées, lui dis-je.

— Bah ! dans huit jours vous n’y penserez plus, reprit-il avec sa voix enrouée ; c’est quelque chose que d’être seul, allez, dans des temps comme ceux où nous vivons. Savez-vous ce que j’ai là-dedans ?

— Non, lui dis-je.

— C’est une femme.

Je dis : — Ah ! — sans trop d’étonnement, et je me remis en marche tranquillement, au pas. Il me suivit.

— Cette mauvaise brouette-là ne m’a pas coûté bien cher, reprit-il, ni le mulet non plus ; mais c’est tout ce qu’il me faut, quoique ce chemin-là soit un ruban de queue un peu long.

Je lui offris de monter mon cheval quand il serait fatigué ; et comme je ne lui parlais que gravement et avec simplicité de son équipage, dont il craignait le ridicule, il se mit à son aise tout à