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mais elle sera longtemps la seule à laquelle puisse prétendre l’homme armé, car il est armé presque inutilement aujourd’hui. Les Grandeurs éblouissantes des conquérants sont peut-être éteintes pour toujours. Leur éclat passé s’affaiblit, je le répète, à mesure que s’accroît, dans les esprits, le dédain de la guerre, et, dans les cœurs, le dégoût de ses cruautés froides. Les Armées permanentes embarrassent leurs maîtres. Chaque souverain regarde son Armée tristement ; ce colosse assis à ses pieds, immobile et muet, le gêne et l’épouvante ; il n’en sait que faire, et craint qu’il ne se tourne contre lui. Il le voit dévoré d’ardeur et ne pouvant se mouvoir. Le besoin d’une circulation impossible ne cesse de tourmenter le sang de ce grand corps, ce sang qui ne se répand pas et bouillonne sans cesse. De temps à autre, des bruits de grandes guerres s’élèvent et grondent comme un tonnerre éloigné ; mais ces nuages impuissants s’évanouissent, ces trombes se perdent en grains de sable, en traités, en protocoles, que sais-je ! — La philosophie a heureusement rapetissé la guerre ; les négociations la remplacent ; la mécanique achèvera de l’annuler par ses inventions.

Mais en attendant que le monde, encore enfant, se délivre de ce jouet féroce, en attendant cet accomplissement bien