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possédait, à la pauvre marchande qui l’avait recueilli, et, après elle, à Jean, qu’elle devait faire élever, sous condition qu’il ne serait jamais militaire ; il stipulait la somme de son remplacement, et donnait ce petit bout de terre pour asile à ses quatre vieux grenadiers. Il chargeait de tout cela un notaire de sa province. Quand j’eus le papier dans les mains, il parut plus tranquille et prêt à s’assoupir. Puis il tressaillit, et, rouvrant les yeux, il me pria de prendre et de garder sa canne de jonc. — Ensuite il s’assoupit encore. Son vieux soldat secoua la tête et lui prit une main. Je pris l’autre, que je sentis glacée. Il dit qu’il avait froid aux pieds, et Jean coucha et appuya sa petite poitrine d’enfant sur le lit pour le réchauffer. Alors le capitaine Renaud commença à tâter ses draps avec les mains, disant qu’il ne les sentait plus, ce qui est un signe fatal. Sa voix était caverneuse. Il porta péniblement une main à son front, regarda Jean attentivement, et dit encore :

« C’est singulier ! — Cet enfant-là ressemble à l’enfant russe ! » Ensuite il ferma les yeux, et, me serrant la main avec une présence d’esprit renaissante :

« Voyez-vous ! me dit-il, voilà le cerveau qui se prend, c’est la fin. »

Son regard était différent et plus calme. Nous comprîmes cette lutte d’un espri