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e enfant baissa les yeux en rougissant. — Je vis une grosse larme rouler sur sa joue.

— « Allons ! allons ! dit le capitaine en passant la main dans ses cheveux. Ce n’est pas sa faute. Pauvre garçon ! il avait rencontré deux hommes qui lui avaient fait boire de l’eau-de-vie, l’avaient payé, et l’avaient envoyé me tirer son coup de pistolet. Il a fait cela comme il aurait jeté une bille au coin de la borne. — N’est-ce pas, Jean ? »

Et Jean se mit à trembler et prit une expression de douleur si poignante qu’elle me toucha. Je le regardai de plus près : c’était un fort bel enfant.

— « C’était bien une bille aussi, me dit la jeune marchande. Voyez, monsieur. » Et elle me montrait une petite bille d’agate, grosse comme les plus fortes balles de plomb, et avec laquelle on avait chargé le pistolet de calibre qui était là.

— « Il n’en faut pas plus que ça pour retrancher une jambe d’un capitaine, me dit Renaud.

— Vous ne devez pas le faire parler beaucoup, » me dit timidement la marchande.

Renaud ne l’écoutait pas :

« Oui, mon cher, il ne me reste pas assez de jambe pour y faire tenir une jambe de bois. »

Je lui serrais la main sans répondre ; humilié de voir que, pour tuer un homme qui avait tant vu et tant souffert, dont la poitrine était bronzée par vingt campagnes et dix blessures, éprouvée à la glace et au feu, passée à la baïonne