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SOUVENIRS

été donné par le maître; la coutume sévèrement conservée, et à propos ; car à la considération nécessaire d’éloigner la familiarité, se joignait encore le besoin qu’avait leur vieille expérience de conserver sa dignité aux yeux d’une jeunesse plus instruite qu’elle, envoyée sans cesse par les écoles militaires, et arrivant toute bardée de chiffres, avec une assurance de lauréat que le silence seul pouvait tenir en bride.

Je n’ai jamais aimé l’espèce des jeunes officiers, même lorsque j’en faisais partie. Un secret instinct de la vérité m’avertissait qu’en toute chose la théorie n’est rien auprès de la pratique, et le grave et silencieux sourire des vieux capitaines me tenait en garde contre toute cette pauvre science qui s’apprend en quelques jours de lecture. Dans les régiments où j’ai servi, j’aimais à écouter ces vieux officiers dont le dos voûté avait encore l’attitude d’un dos de soldat, chargé d’un sac plein d’habits et d’une giberne pleine de cartouches. Ils me faisaient de vieilles histoires d’Égypte, d’Italie et de Russie, qui m’en apprenaient plus sur la guerre que l’ordonnance de 1789, les règlements de service et les interminables instructions, à commencer par celle du grand Frédéric à ses généraux. Je trouvais, au contraire, quelque chose de fastidieux dans la fatuité confiante, désœuvrée et ignorante des jeunes officiers de cette époque, fumeurs et joueurs éternels, at-