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— Eh ! sacredié, mon cher, que voulez-vous ? c’est le métier.

— C’est juste, » répondis-je, et je me levai pour aller reprendre mon commandement. L’enfant retomba dans les plis de son manteau dont je l’enveloppai, et sa petite main ornée de grosses bagues laissa échapper une canne de jonc, qui tomba sur ma main comme s’il me l’eût donnée. Je la pris ; je résolus, quels que fussent mes périls à venir, de n’avoir plus d’autre arme, et je n’eus pas l’audace de retirer de sa poitrine mon sabre d’égorgeur.

Je sortis à la hâte de cet antre qui puait le sang, et quand je me trouvai au grand air, j’eus la force d’essuyer mon front rouge et mouillé. Mes grenadiers étaient à leurs rangs ; chacun essuyait froidement sa baïonnette dans le gazon et raffermissait sa pierre à feu dans la batterie. Mon sergent-major, suivi du fourrier, marchait devant les rangs, tenant sa liste à la main, et, lisant à la lueur d’un bout de chandelle planté dans le canon de son fusil comme dans un flambeau, il faisait paisiblement l’appel. Je m’appuyai contre un arbre, et le chirurgien-major vint me bander le front. Une large pluie de mars tombait sur ma tête et me faisait quelque bien. Je ne pus m’empêcher de pousser un profond soupir :

« Je suis las de la guerre, dis-je au chirurgien.