Page:Vigny - Servitude et grandeur militaires, 1885.djvu/265

Cette page n’a pas encore été corrigée

en prononçant un mot à chaque grain semé au vent :

« Vous sentez bien que je serai par là, derrière vous, avec ma colonne. — Vous n’aurez guère perdu que soixante hommes, vous aurez les six pièces qu’ils ont placées là… Vous les tournerez du côté de Reims… À onze heures… onze heures et demie, la position sera à nous. Et nous dormirons jusqu’à trois heures pour nous reposer un peu… de la petite affaire de Craonne, qui n’était pas, comme on dit, piquée des vers.

— Ça suffit, » lui dis-je ; et je m’en allai, avec mon lieutenant en second, préparer un peu notre soirée. L’essentiel, comme vous voyez, était de ne pas faire de bruit. Je passai l’inspection des armes et je fis enlever, avec le tire-bourre, les cartouches de toutes celles qui étaient chargées. Ensuite, je me promenai quelque temps avec mes sergents, en attendant l’heure. À dix heures et demie, je leur fis mettre leur capote sur l’habit et le fusil caché sous la capote ; car, quelque chose qu’on fasse, comme vous voyez ce soir, la baïonnette se voit toujours, et quoiqu’il fît autrement sombre qu’à présent, je ne m’y fiais pas. J’avais observé les petits sentiers bordés de haies qui conduisaient au corps de garde russe, et j’y fis monter les plus déterminés gaillards que j’aie jamais comman