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camarades. Notre colonel, qui était ce qu’on nomme un dur à cuire, voulut prendre sa revanche. Nous étions près d’Épernay et nous tournions les hauteurs qui l’environnent. Le soir venait, et, après avoir occupé le jour entier à nous refaire, nous passions près d’un joli château blanc à tourelles, nommé Boursault, lorsque le colonel m’appela. Il m’emmena à part, pendant qu’on formait les faisceaux, et me dit de sa vieille voix enrouée :

« Vous voyez bien là-haut une grange, sur cette colline coupée à pic ; là où se promène ce grand nigaud de factionnaire russe avec son bonnet d’évêque ?

— Oui, oui, dis-je, je vois parfaitement le grenadier et la grange.

— Eh bien, vous qui êtes un ancien, il faut que vous sachiez que c’est là le point que les Russes ont pris avant-hier et qui occupe le plus l’Empereur, pour le quart d’heure. Il me dit que c’est la clef de Reims, et ça pourrait bien être. En tout cas, nous allons jouer un tour à Woronzoff. À onze heures du soir, vous prendrez deux cents de vos lapins, vous surprendrez le corps de garde qu’ils ont établi dans cette grange. Mais, de peur de donner l’alarme, vous enlèverez ça à la baïonnette. »

Il prit et m’offrit une prise de tabac, et, jetant le reste peu à peu, comme je fais là, il me dit,