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— Bah ! n’importe ! j’aime à m’y laisser aller avec un ancien camarade. Ce sera pour vous un objet de réflexions sérieuses quand vous n’aurez rien de mieux à faire. Il me semble que cela n’en est pas indigne. Vous me croirez bien faible ou bien fou ; mais c’est égal. Jusqu’à l’événement, assez ordinaire pour d’autres, que je vais vous dire et dont je recule le récit malgré moi, mon amour de la gloire des armes était devenu sage, grave, dévoué et parfaitement pur, comme est le sentiment simple et unique du devoir ; mais, à dater de ce jour-là, d’autres idées vinrent assombrir encore ma vie.

C’était en 1814 ; c’était le commencement de l’année et la fin de cette sombre guerre où notre pauvre armée défendait l’Empire et l’Empereur, et où la France regardait le combat avec découragement. Soissons venait de se rendre au Prussien Bulow. Les armées de Silésie et du Nord y avaient fait leur jonction. Macdonald avait quitté Troyes et abandonné le bassin de l’Yonne pour établir sa ligne de défense de Nogent à Montereau, avec trente mille hommes.

Nous devions attaquer Reims, que l’Empereur voulait reprendre. Le temps était sombre et la pluie continuelle. Nous avions perdu la veille un officier supérieur qui conduisait des prisonniers. Les Russes l’avaient surpris et tué dans la nuit précédente, et ils avaient délivré leurs