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Mais quel bonheur ce fut pour moi ! — Dès ce jour, je commençai à m’estimer intérieurement, à avoir confiance en moi, à sentir mon caractère s’épurer, se former, se compléter, s’affermir. Dès ce jour, je vis clairement que les événements ne sont rien, que l’homme intérieur est tout, je me plaçai bien au-dessus de mes juges. Enfin je sentis ma conscience, je résolus de m’appuyer uniquement sur elle, de considérer les jugements publics, les récompenses éclatantes, les fortunes rapides, les réputations de bulletin, comme de ridicules forfanteries et un jeu de hasard qui ne valait pas la peine qu’on s’en occupât.

J’allai vite à la guerre me plonger dans les rangs inconnus, l’infanterie de ligne, l’infanterie de bataille, où les paysans de l’armée se faisaient faucher par mille à la fois, aussi pareils, aussi égaux que les blés d’une grasse prairie de la Beauce. — Je me cachai là comme un chartreux dans son cloître ; et du fond de cette foule armée, marchant à pied comme les soldats, portant un sac et mangeant leur pain, je fis les grandes guerres de l’Empire tant que l’Empire fut debout. — Ah ! si vous saviez comme je me sentis à l’aise dans ces fatigues inouïes ! Comme j’aimais cette obscurité et quelles joies sauvages me donnèrent les grandes batailles ! La beauté de la guerre est au milieu des soldats, dans la