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de moi, pleurait parce qu’il était bon, je mis ma tête dans mes deux mains, et je pleurai de ce que j’avais été jusque-là si mauvais.

Après quelques minutes, l’Amiral revint à moi.

— « J’ai à vous dire, reprit-il d’un ton plus ferme, que nous ne tarderons pas à nous rapprocher de la France. Je suis une éternelle sentinelle placée devant vos ports. Je n’ai qu’un mot à ajouter, et j’ai voulu que ce fût seul à seul : souvenez-vous que vous êtes ici sur votre parole, et que je ne vous surveillerai point ; mais, mon enfant, plus le temps passera, plus l’épreuve sera forte. Vous êtes bien jeune encore ; si la tentation devient trop grande pour que votre courage y résiste, venez me trouver quand vous craindrez de succomber, et ne vous cachez pas de moi, je vous sauverai d’une action déshonorante que, par malheur pour leurs noms, quelques officiers ont commise. Souvenez-vous qu’il est permis de rompre une chaîne de galérien, si l’on peut, mais non une parole d’honneur. » Et il me quitta sur ces derniers mots en me serrant la main.

Je ne sais si vous avez remarqué, en vivant, monsieur, que les révolutions qui s’accomplissent dans notre âme dépendent souvent d’une journée, d’une heure, d’une conversation mémorable et imprévue qui nous ébranle et jette en nous comme des germes tout nouveaux qui croissent lentement, dont le reste de nos actions est seulement