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subit de neuf cents bâtiments dans ce port, sous la protection d’une flotte de cinq cents voiles, toujours annoncée ; l’établissement des camps de Dunkerque et d’Ostende, de Calais, de Montreuil et de Saint-Omer, sous les ordres de quatre maréchaux ; le trône militaire d’où tombèrent les premières étoiles de la Légion d’honneur, les revues, les fêtes, les attaques partielles, tout cet éclat réduit, selon le langage géométrique, à sa plus simple expression, eut trois buts : inquiéter l’Angleterre, assoupir l’Europe, concentrer et enthousiasmer l’armée.

Ces trois points dépassés, Bonaparte laissa tomber pièce à pièce la machine artificielle qu’il avait fait jouer à Boulogne. Quand j’y arrivai, elle jouait à vide comme celle de Marly. Les généraux y faisaient encore les faux mouvements d’une ardeur simulée dont ils n’avaient pas la conscience. On continuait à jeter encore à la mer quelques malheureux bateaux dédaignés par les Anglais et coulés par eux de temps à autre. Je reçus un commandement sur l’une de ces embarcations, dès le lendemain de mon arrivée.

Ce jour-là, il y avait en mer une seule frégate anglaise. Elle courait des bordées avec une majestueuse lenteur ; elle allait, elle venait, elle virait, elle se penchait, elle se relevait, elle se mirait, elle glissait, elle s’arrêtait, elle jouait au soleil comme un cygne qui se baigne. Le misérable bateau plat