Page:Vigny - Servitude et grandeur militaires, 1885.djvu/217

Cette page n’a pas encore été corrigée

robes de femme ! — Mais sachez bien qu’elles ne m’en imposent nullement, et que, si vous continuez, vous ! je traiterai la vôtre comme Charles XII celle du grand vizir : je la déchirerai d’un coup d’éperon. »

Il se tut. Je n’osais pas respirer. J’avançai la tête, n’entendant plus sa voix tonnante, pour voir si le pauvre vieillard était mort d’effroi. Le même calme dans l’attitude, le même calme sur le visage. Il leva une seconde fois les yeux au ciel, et après avoir jeté un profond soupir, il sourit avec amertume et dit :

«  Tragediante !  »

Bonaparte, en ce moment, était au bout de la chambre, appuyé sur la cheminée de marbre aussi haute que lui. Il partit comme un trait, courant sur le vieillard ; je crus qu’il l’allait tuer. Mais il s’arrêta court, prit, sur la table, un vase de porcelaine de Sèvres, où le château de Saint-Ange et le Capitole étaient peints, et, le jetant sur les chenets et le marbre, le broya sous ses pieds. Puis tout d’un coup s’assit et demeura dans un silence profond et une immobilité formidable.

Je fus soulagé, je sentis que la pensée réfléchie lui était revenue et que le cerveau avait repris l’empire sur les bouillonnements du sang. Il devint triste, sa voix fut sourde et mélancolique, et dès sa première parole je compris qu’il était