Page:Vigny - Servitude et grandeur militaires, 1885.djvu/205

Cette page n’a pas encore été corrigée

j’en savais plus qu’il ne le croyait, j’en savais même souvent plus que lui ; mais son œil me paralysait. Lorsqu’il était hors de la chambre, je pouvais respirer, le sang commençait à circuler dans mes veines, la mémoire me revenait et avec elle une honte inexprimable ; la rage me prenait, j’écrivais ce que j’aurais dû lui répondre ; puis je me roulais sur le tapis, je pleurais, j’avais envie de me tuer.

— Quoi ! me disais-je, il y a donc des têtes assez fortes pour être sûres de tout et n’hésiter devant personne ? Des hommes qui s’étourdissent par l’action sur toute chose, et dont l’assurance écrase les autres en leur faisant penser que la clef de tout savoir et de tout pouvoir, clef qu’on ne cesse de chercher, est dans leur poche, et qu’ils n’ont qu’à l’ouvrir pour en tirer lumière et autorité infaillibles ! — Je sentais pourtant que c’était là une force fausse et usurpée. Je me révoltais, je criais : « Il ment ! Son attitude, sa voix, son geste, ne sont qu’une pantomime d’acteur, une misérable parade de souveraineté, dont il doit savoir la vanité. Il n’est pas possible qu’il croie en lui-même aussi sincèrement ! Il nous défend à tous de lever le voile, mais il se voit nu par dessous. Et que voit-il ? un pauvre ignorant comme nous tous, et sous tout cela la créature faible ! » — Cependant je ne savais comment voir le fond de cette âme déguisée. Le pouvoir