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Je ne tardai pas à trouver des occasions de l’examiner de plus près, et d’épier l’esprit du grand homme dans les actes obscurs de sa vie privée.

On avait osé créer des pages, comme je vous l’ai dit ; mais nous portions l’uniforme d’officiers en attendant la livrée verte à culottes rouges que nous devions prendre au sacre. Nous servions d’écuyers, de secrétaires et d’aides de camp jusque-là, selon la volonté du maître, qui prenait ce qu’il trouvait sous sa main. Déjà il se plaisait à peupler ses antichambres ; et comme le besoin de dominer le suivait partout, il ne pouvait s’empêcher de l’exercer dans les plus petites choses et tourmentait autour de lui ceux qui l’entouraient, par l’infatigable maniement d’une volonté toujours présente. Il s’amusait de ma timidité ; il jouait avec mes terreurs et mon respect. — Quelquefois il m’appelait brusquement ; et, me voyant entrer pâle et balbutiant, il s’amusait à me faire parler longtemps pour voir mes étonnements et troubler mes idées. Quelquefois, tandis que j’écrivais sous sa dictée, il me tirait l’oreille tout d’un coup, à sa manière, et me faisait une question imprévue sur quelque vulgaire connaissance comme la géographie ou l’algèbre, me posant le plus facile problème d’enfant ; il me semblait alors que la foudre tombait sur ma tête. Je savais mille fois ce qu’il me demandait ;