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CHAPITRE V

LE DIALOGUE INCONNU


La lettre de mon pauvre père, et sa mort, que j’appris peu de temps après, produisirent en moi, tout enivré que j’étais et tout étourdi du bruit de mes éperons, une impression assez forte pour donner un grand ébranlement à mon ardeur aveugle, et je commençai à examiner de plus près et avec plus de calme ce qu’il y avait de surnaturel dans l’éclat qui m’enivrait. Je me demandai, pour la première fois, en quoi consistait l’ascendant que nous laissions prendre sur nous aux hommes d’action revêtus d’un pouvoir absolu, et j’osai tenter quelques efforts intérieurs pour tracer des bornes, dans ma pensée, à cette donation volontaire de tant d’hommes à un homme. Cette première secousse me fit entr’ouvrir la paupière, et j’eus l’audace de regarder en face l’aigle éblouissant qui m’avait enlevé tout enfant, et dont les ongles me pressaient les reins.