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l’Empereur, la voix de l’Empereur, les gestes de l’Empereur, les pas de l’Empereur. Son approche m’enivrait, sa présence me magnétisait. La gloire d’être attaché à cet homme me semblait la plus grande chose qui fût au monde, et jamais un amant n’a senti l’ascendant de sa maîtresse avec des émotions plus vives et plus écrasantes que celles que sa vue me donnait chaque jour. — L’admiration d’un chef militaire devient une passion, un fanatisme, une frénésie, qui font de nous des esclaves, des furieux, des aveugles. — Cette pauvre lettre que je viens de vous donner à lire ne tint dans mon esprit que la place de ce que les écoliers nomment un sermon, et je ne sentis que le soulagement impie des enfants qui se trouvent délivrés de l’autorité naturelle et se croient libres parce qu’ils ont choisi la chaîne que l’entraînement général leur a fait river à leur cou. Mais un reste de bons sentiments natifs me fit conserver cette écriture sacrée, et son autorité sur moi a grandi à mesure que diminuaient mes rêves d’héroïque sujétion. Elle est restée toujours sur mon cœur, et elle a fini par y jeter des racines invisibles, aussitôt que le bon sens a dégagé ma vue des nuages qui la couvraient alors. Je n’ai pu m’empêcher, cette nuit, de la relire avec vous, et je me prends en pitié en considérant combien a été lente la courbe que mes idées ont suivie pour revenir à la base la