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Lilybée, passait à travers ses vapeurs ; je pris ses maisons blanches pour des colombes perçant un nuage ; et un matin, c’était…, oui, c’était le 24 prairial, je vis, au lever du jour, arriver devant moi un tableau qui m’éblouit pour vingt ans.

Malte était debout avec ses forts, ses canons à fleur d’eau, ses longues murailles luisantes au soleil comme des marbres nouvellement polis, et sa fourmilière de galères toutes minces courant sur de longues rames rouges. Cent quatre-vingt-quatorze bâtiments français l’enveloppaient de leurs grandes voiles et de leurs pavillons bleus, rouges et blancs que l’on hissait, en ce moment, à tous les mâts, tandis que l’étendard de la religion s’abaissait lentement sur le Gozo et le fort Saint-Elme : c’était la dernière croix militante qui tombait. Alors la flotte tira cinq cents coups de canon.

Le vaisseau l’Orient était en face, seul à l’écart, grand et immobile. Devant lui vinrent passer lentement, et l’un après l’autre, tous les bâtiments de guerre, et je vis de loin Desaix saluer Bonaparte. Nous montâmes près de lui à bord de l’Orient. Enfin pour la première fois je le vis.

Il était debout près du bord, causant avec Casa-Bianca, capitaine du vaisseau (pauvre Orient !), et il jouait avec les cheveux d’un enfant