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de vous prier de m’envoyer votre hausse-col de la Garde royale, si vous l’avez conservé ? J’ai laissé le mien chez moi, et je ne puis l’envoyer chercher ni y aller moi-même, parce qu’on nous tue dans les rues comme des chiens enragés ; mais depuis trois ou quatre ans que vous avez quitté l’armée, peut-être ne l’avez-vous plus. J’avais aussi donné ma démission il y a quinze jours, car j’ai une grande lassitude de l’Armée ; mais avant-hier, quand j’ai vu les ordonnances, j’ai dit : On va prendre les armes. J’ai fait un paquet de mon uniforme, de mes épaulettes et de mon bonnet à poil, et j’ai été à la caserne retrouver ces braves gens-là qu’on va faire tuer dans tous les coins, et qui certainement auraient pensé, au fond du cœur, que je les quittais mal et dans un moment de crise ; c’eût été contre l’Honneur, n’est-il pas vrai, entièrement contre l’Honneur ?

— Aviez-vous prévu les ordonnances, dis-je, lors de votre démission ?

— Ma foi, non ! je ne les ai pas même lues encore.

— Eh bien ! que vous reprochiez-vous ?

— Rien que l’apparence, et je n’ai pas voulu que l’apparence même fût contre moi.

— Voilà, dis-je, qui est admirable.

— Admirable ! admirable ! dit le capitaine Renaud en marchant plus vite, c’est le mot actuel ; quel mot puéril ! Je déteste l’admiration ; c’est