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à de profondes études, tantôt à de hautes relations fort anciennes, et que sa réserve perpétuelle empêchait de connaître.

Du reste, le caractère dominant des hommes d’aujourd’hui, c’est cette réserve même, et celui-ci ne faisait que porter à l’extrême ce trait général. À présent, une apparence de froide politesse couvre à la fois caractère et actions. Aussi je n’estime pas que beaucoup puissent se reconnaître aux portraits effarés que l’on fait de nous. L’affectation est ridicule en France plus que partout ailleurs, et c’est pour cela, sans doute, que, loin d’étaler sur ses traits et dans son langage l’excès de force que donnent les passions, chacun s’étudie à renfermer en soi les émotions violentes, les chagrins profonds ou les élans involontaires. Je ne pense point que la civilisation ait tout énervé, je vois qu’elle a tout masqué. J’avoue que c’est un bien, et j’aime le caractère contenu de notre époque. Dans cette froideur apparente il y a de la pudeur, et les sentiments vrais en ont besoin. Il y entre aussi du dédain, bonne monnaie pour payer les choses humaines. — Nous avons déjà perdu beaucoup d’amis dont la mémoire vit entre nous ; vous vous les rappelez, ô mes chers Compagnons d’armes ! Les uns sont morts par la guerre, les autres par le duel, d’autres par le suicide ; tous hommes d’honneur et de ferme caractère, de