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s’en assurer. Je lui dis qu’elles sortaient de quelques grands arbres que faisaient abattre et brûler des marchands, profitant du trouble pour détruire ces vieux ormes qui cachaient leurs boutiques. Alors, s’asseyant sur l’un des bancs de pierre du boulevard, il se mit à faire des lignes et des ronds sur le sable avec une canne de jonc. Ce fut à quoi je le reconnus, tandis qu’il me reconnaissait à mon visage. Comme je restais debout devant lui, il me serra la main et me pria de m’asseoir à son côté.

Le capitaine Renaud était un homme d’un sens droit et sévère et d’un esprit très cultivé, comme la Garde en renfermait beaucoup à cette époque. Son caractère et ses habitudes nous étaient fort connus, et ceux qui liront ces souvenirs sauront bien sur quel visage sérieux ils doivent placer son nom de guerre donné par les soldats, adopté par les officiers et reçu indifféremment par l’homme. Comme les vieilles familles, les vieux régiments, conservés intacts par la paix, prennent des coutumes familières et inventent des noms caractéristiques pour leurs enfants. Une ancienne blessure à la jambe droite motivait cette habitude du capitaine de s’appuyer toujours sur cette canne de jonc, dont la pomme était assez singulière et attirait l’attention de tous ceux qui la voyaient pour la première fois. Il la gardait partout et presque toujours