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DE SERVITUDE MILITAIRE.

précisément où, comme je l’ai dit, la France commençait à s’en guérir. Mais l’orage grondait encore, et ni mes études sévères, rudes, forcées et trop précoces, ni le bruit du grand monde, où, pour me distraire de ce penchant, on m’avait jeté tout adolescent, ne me purent ôter cette idée fixe.

Bien souvent j’ai souri de pitié sur moi-même en voyant avec quelle force une idée s’empare de nous, comme elle nous fait sa dupe, et combien il faut de temps pour l’user. La satiété même ne parvint qu’à me faire désobéir à celle-ci, non à la détruire en moi, et ce livre aussi me prouve que je prends plaisir encore à la caresser et que je ne serais pas éloigné d’une rechute. Tant les impressions d’enfance sont profondes, et tant s’était bien gravée sur nos cœurs la marque brûlante de l’Aigle Romaine !

Ce ne fut que très tard que je m’aperçus que mes services n’étaient qu’une longue méprise, et que j’avais porté dans une vie tout active une nature toute contemplative. Mais j’avais suivi la pente de cette génération de l’Empire, née avec le siècle, et de laquelle je suis.

La guerre nous semblait si bien l’état naturel de notre pays, que lorsque, échappés des classes, nous nous jetâmes dans l’Armée, selon le cours accoutumé de notre torrent, nous ne pûmes croire au calme durable de la paix. Il nous parut