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et portée par un soldat, sortit la première, et toute la foule suivit. Dans ce moment cela me parut une précaution bien inutile, la terre n’était sûre qu’à six lieues de là.

Nous entrâmes en courant, ainsi que tous les officiers logés dans le bourg. La première chose qui me frappa fut la contenance calme de nos vieux grenadiers de la garde, placés au poste d’entrée. L’arme au pied, appuyés sur cette arme, ils regardaient du côté de la poudrière en connaisseurs, mais sans dire un mot ni quitter l’attitude prescrite, la main sur la bretelle du fusil. Mon ami Ernest d’Hanache les commandait ; il nous salua avec le sourire à la Henri IV qui lui était naturel ; je lui donnai la main. Il ne devait perdre la vie que dans la dernière Vendée, où il vient de mourir noblement. Tous ceux que je nomme dans ces souvenirs encore récents sont déjà morts.

En courant, je heurtai quelque chose qui faillit me faire tomber : c’était un pied humain. Je ne pus m’empêcher de m’arrêter à le regarder.

— « Voilà comme votre pied sera tout à l’heure, » me dit un officier en passant et en riant de tout son cœur.

Rien n’indiquait que ce pied eût jamais été chaussé. Il était comme embaumé et conservé à la manière des momies ; brisé à deux pouces