Page:Vigny - Servitude et grandeur militaires, 1885.djvu/157

Cette page n’a pas encore été corrigée

— Il me semble, dis-je, que nous sautons.

— Je ne dis pas le contraire, me répondit-il froidement. Il n’y a rien à faire jusqu’à présent. »

En trois minutes je fus comme lui habillé et armé, et nous regardâmes en silence le silencieux château.

Tout d’un coup vingt tambours battirent la générale ; les murailles sortaient de leur stupeur et de leur impassibilité et appelaient à leur secours. Les bras du pont-levis commencèrent à s’abaisser lentement et descendirent leurs pesantes chaînes sur l’autre bord du fossé ; c’était pour faire entrer les officiers et sortir les habitants. Nous courûmes à la herse : elle s’ouvrait pour recevoir les forts et rejeter les faibles.

Un singulier spectacle nous frappa : toutes les femmes se pressaient à la porte, et en même temps tous les chevaux de la garnison. Par un juste instinct du danger, ils avaient rompu leurs licols à l’écurie ou renversé leurs cavaliers, et attendaient en piaffant que la campagne leur fût ouverte. Ils couraient par les cours, à travers les troupeaux de femmes, hennissant avec épouvante, la crinière hérissée, les narines ouvertes, les yeux rouges, se dressant debout contre les murs, respirant la poudre, et cachant dans le sable leurs naseaux brûlés.

Une jeune et belle personne, roulée dans les draps de son lit, suivie de sa mère à demi vêtue