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DE SERVITUDE MILITAIRE.

image dans les miens, et aussi celle de bien des personnages célèbres morts longtemps avant ma naissance. Les récits de famille ont cela de bon, qu’ils se gravent plus fortement dans la mémoire que les narrations écrites ; ils sont vivants comme le conteur vénéré, et ils allongent notre vie en arrière, comme l’imagination qui devine peut l’allonger en avant dans l’avenir.

Je ne sais si un jour j’écrirai pour moi-même tous les détails intimes de ma vie ; mais je ne veux parler ici que d’une des préoccupations de mon âme. Quelquefois, l’esprit tourmenté du passé et attendant peu de chose de l’avenir, on cède trop aisément à la tentation d’amuser quelques désœuvrés des secrets de sa famille et des mystères de son cœur. Je conçois que quelques écrivains se soient plu à faire pénétrer tous les regards dans l’intérieur de leur vie et même de leur conscience, l’ouvrant et le laissant surprendre par la lumière, tout en désordre et comme encombré de familiers souvenirs et des fautes les plus chéries. Il y a des œuvres telles parmi les plus beaux livres de notre langue, et qui nous resteront comme ces beaux portraits de lui-même que Raphaël ne cessait de faire. Mais ceux qui se sont représentés ainsi, soit avec un voile, soit à visage découvert, en ont eu le droit, et je ne pense pas que l’on puisse faire ses confessions à voix haute, avant d’être assez vieux, assez illustre ou