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qui les battent. On me fit l’honneur de me promettre que, si je me comportais bien, je finirais par être admis dans la première compagnie de grenadiers. — J’eus bientôt une queue poudrée qui tombait sur ma veste blanche assez noblement ; mais je ne voyais plus jamais ni Pierrette, ni sa mère, ni monsieur le curé de Montreuil, et je ne faisais point de musique.

Un beau jour, comme j’étais consigné à la caserne même où nous voici, pour avoir fait trois fautes dans le maniement d’armes, on me plaça dans la position des feux du premier rang, un genou sur le pavé, ayant en face de moi un soleil éblouissant et superbe que j’étais forcé de coucher en joue, dans une immobilité parfaite, jusqu’à ce que la fatigue me fît ployer les bras à la saignée ; et j’étais encouragé à soutenir mon arme par la présence d’un honnête caporal, qui de temps en temps soulevait ma baïonnette avec sa crosse quand elle s’abaissait ; c’était une petite punition de l’invention de M. de Saint-Germain.

Il y avait vingt minutes que je m’appliquais à atteindre le plus haut degré de pétrification possible dans cette attitude, lorsque je vis au bout de mon fusil la figure douce et paisible de mon bon ami Michel, le tailleur de pierres.

— « Tu viens bien à propos, mon ami, lui dis-je, et tu me rendrais un grand service si tu voulais