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DE SERVITUDE MILITAIRE.

foulerais aux pieds des mots et des phrases, qui ne sont bons tout au plus que pour une centaine de départements, tandis que j’aurais le bonheur de dire mes idées fort clairement à tout l’univers avec mes sept notes. Mais, dépourvu de cette science comme je suis, ma conversation musicale serait si bornée que mon seul parti à prendre est de vous dire, en langue vulgaire, la satisfaction que me cause surtout votre vue et le spectacle de l’accord plein de simplicité et de bonhomie qui règne dans votre famille. C’est au point que ce qui me plaît le plus dans votre petit concert, c’est le plaisir que vous y prenez ; vos âmes me semblent plus belles encore que la plus belle musique que le Ciel ait jamais entendue monter à lui, de notre misérable terre, toujours gémissante.

Je tendais la main avec effusion à ce bon père, et il la serra avec l’expression d’une reconnaissance grave. Ce n’était qu’un vieux soldat ; mais il y avait dans son langage et ses manières je ne sais quoi de l’ancien bon ton du monde. La suite me l’expliqua.

— Voici, mon lieutenant, me dit-il, la vie que nous menons ici. Nous nous reposons en chantant, ma fille, moi et mon gendre futur.

Il regardait en même temps ces beaux jeunes gens avec une tendresse toute rayonnante de bonheur.

— Voici, ajouta-t-il d’un air plus grave, en nous