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SOUVENIRS

que de les sentir de la sorte. La famille heureuse éprouvait elle-même la forte émotion qu’elle donnait, et une vibration profonde faisait quelquefois trembler les trois voix.

Le chant cessa, et un long silence lui succéda. La jeune personne, comme fatiguée, s’était appuyée sur l’épaule de son père ; sa taille était élevée et un peu ployée, comme par faiblesse ; elle était mince, et paraissait avoir grandi trop vite, et sa poitrine, un peu amaigrie, en paraissait affectée. Elle baisait le front chauve, large et ridé de son père, et abandonnait sa main au jeune sous-officier qui la pressait sur ses lèvres.

Comme je me serais bien gardé, par amour-propre, d’avouer tout haut mes rêveries intérieures, je me contentai de dire froidement :

— Que le ciel accorde de longs jours et toutes sortes de bénédictions à ceux qui ont le don de traduire la musique littéralement ! Je ne puis trop admirer un homme qui trouve à une symphonie le défaut d’être trop Cartésienne, et à une autre de pencher vers le système de Spinosa ; qui se récrie sur le panthéisme d’un trio et l’utilité d’une ouverture à l’amélioration de la classe la plus nombreuse. Si j’avais le bonheur de savoir comme quoi un bémol de plus à la clef peut rendre un quatuor de flûtes et de bassons plus partisan du Directoire que du Consulat et de l’Empire, je ne parlerais plus, je chanterais éternellement ; je