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DE SERVITUDE MILITAIRE.

de femme, je ne fus pas sa dupe ; mais j’en eus l’air. Nous nous mîmes à la fenêtre, et je lui dis, essayant d’approcher mes idées des siennes :

— Je travaillais aussi de mon côté, et je cherchais à me rendre compte de cette sorte d’aimant qu’il y a pour nous dans l’acier d’une épée. C’est une attraction irrésistible qui nous retient au service malgré nous, et fait que nous attendons toujours un événement ou une guerre. Je ne sais pas (et je venais vous en parler) s’il ne serait pas vrai de dire et d’écrire qu’il y a dans les armées une passion qui leur est particulière et qui leur donne la vie ; une passion qui ne tient ni de l’amour de la gloire, ni de l’ambition ; c’est une sorte de combat corps à corps contre la destinée, une lutte qui est la source de mille voluptés inconnues au reste des hommes, et dont les triomphes intérieurs sont remplis de magnificence ; enfin c’est l’amour du danger !

— C’est vrai, me dit Timoléon.

Je poursuivis :

— Que serait-ce donc qui soutiendrait le marin sur la mer ? qui le consolerait dans cet ennui d’un homme qui ne voit que des hommes ? Il part, et dit adieu à la terre ; adieu au sourire des femmes, adieu à leur amour ; adieu aux amitiés choisies et aux tendres habitudes de la vie ; adieu aux bons vieux parents ; adieu à la belle nature des campagnes, aux arbres, aux gazons, aux fleurs