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moïse

Et vous m’avez prêté la force de vos yeux[1].
Je commande à la nuit de déchirer ses voiles ;
Ma bouche par leur nom a compté les étoiles[2],
Et, dès qu’au firmament mon geste l’appela,
Chacune s’est hâtée en disant : Me voilà.
J’impose mes deux mains sur le front des nuages
Pour tarir dans leurs flancs la source des orages[3] ;
J’engloutis les cités sous les sables mouvants ;
Je renverse les monts sous les ailes des vents[4] ;
Mon pied infatigable est plus fort que l’espace ;
Le fleuve aux grandes eaux se range quand je passe[5],
Et la voix de la mer se tait devant ma voix.
Lorsque mon peuple souffre, ou qu’il lui faut des lois,
J’élève mes regards, votre esprit me visite ;
La terre alors chancelle et le soleil hésite[6],
Vos anges sont jaloux et m’admirent entre eux. —
Et cependant. Seigneur, je ne suis pas heureux ;

  1. Byron, Manfred, II, 2 : Je rendis mes yeux familiers avec l’éternité.
  2. Psaumes, CXLVI, 4 : [Louez le Seigneur] qui sait le nombre prodigieux des étoiles, et qui les connaît toutes par leur nom.
  3. Exode, IX, 33 : Après que Moïse eut quitté Pharaon et fut sorti de la ville, il éleva les mains vers le Seigneur, et les tonnerres et la grêle cessèrent sans qu’il tombât plus une goutte d’eau sur la terre.
  4. Rois, III, 19, II : En même temps le Seigneur passa ; et on entendit devant le Seigneur un vent violent et impétueux, capable de renverser les montagnes et de briser les rochers.
  5. Exode, XIV, 21 : Moïse ayant étendu sa main sur la mer, le Seigneur l’entr’ouvrit, en faisant souffler un vent violent et brûlant pendant toute la nuit ; et il la sécha, et l’eau fut divisée en deux. Les enfants d’Israël marchèrent à pied sec au milieu de la mer. — Josué, III, 16 (passage du Jourdain) : Les eaux qui venaient d’en haut s’arrêtèrent en un même lieu, et, s’élevant comme une montagne, elles paraissaient de loin.
  6. Isaïe, XXIV, 20 : [La terre] sera agitée, et elle chancellera comme un homme ivre. — Josué, X, 12-13 : [Josué dit :] Soleil, arrête-toi sur Gabaon… Le soleil s’arrêta donc au milieu du ciel, et ne se hâta point de se coucher durant l’espace d’un jour.