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LES DESTINÉES.

Et l’autre libre ; — au nom du passé que je lave,
Par le sang de mon corps qui souffre et va finir :
Versons-en la moitié pour laver l’avenir !
Père libérateur ! jette aujourd’hui, d’avance,
La moitié de ce sang d’amour et d’innocence
Sur la tête de ceux qui viendront en disant :
« Il est permis pour tous de tuer l’innocent. »
Nous savons qu’il naîtra, dans le lointain des âges,
Des dominateurs durs escortés de faux sages
Qui troubleront l’esprit de chaque nation
En donnant un faux sens à ma rédemption.
— Hélas ! je parle encor que déjà ma parole
Est tournée en poison dans chaque parabole ;
Éloigne ce calice impur et plus amer
Que le fiel, ou l’absinthe, ou les eaux de la mer.