Page:Vigny - Journal d’un poète, éd. Ratisbonne, 1867.djvu/88

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
78
ALFRED DE VIGNY

Chateaubriand vient de faire une brochure-plaidoirie pour la duchesse de Berry, dans laquelle il esl un peu républicain. Le moindre écrivain républicain ne se croit nullement obligé d’être un peu monarchique. — Marque certaine que le mouvement des esprits est démocratique, puisque le plus ardent monarchiste fait le démocrate.

———

J’ai entendu le concert historique de Fétis. Cet érudit en musique a imaginé de rassembler les monuments musicaux de la France et de les faire exécuter avec les mêmes instruments qu’au seizième siècle. La viole, la basse, l’orgue soutiennent la mélodie simple et grave des chants. Jamais l’art ne m’a enlevé dans une plus pure extase, si ce n’est lorsque, étant malade à Bordeaux, j’écrivais Eloa. Les chants divins qui m’ont ravi surtout sont ceux de Laudi spirituali, cantiques à la Vierge, chantés par les confréries italiennes. Il y avait aussi un air de danse grave, dansé à la cour de Ferrare, au mariage du duc Alphonse d’Este ; air d’une modestie et d’une grâce incomparables. Je voyais passer, en l’entendant ces belles princesses aux yeux baissés et aux longues robes traînantes, se tenant droites et recevant des aveux d’amour avec réserve.