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ALFRED DE VIGNY

et, quand je me mets à l’œuvre après de longs repos, je ne laisse pas refroidir la lave un moment. C’est après de longs intervalles que j’écris, et je reste plusieurs mois de suite occupé de ma vie, sans lire ni écrire. Sur les détails de ma vie, il s’est trompé en beaucoup de points. Jamais je ne comptais sur la popularité d’Éloa et je voulais l’imprimer à vingt exemplaires. En faisant Cinq-Mars, je dis à mes amis : C’est un ouvrage à public. Celui-là fera lire les autres. Je ne me trompais pas. Il ne faut disséquer que les morts. Cette manière de chercher à ouvrir le cerveau d’un vivant est fausse et mauvaise. Dieu seul et le poëte savent comment nait et se forme la pensée. Les hommes ne peuvent ouvrir ce fruit divin et y chercher l’amande. Quand ils veulent le faire, ils la retaillent et la gâtent.

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Je n’ai compris ce mot s’amuser que comme exprimant le jeu des enfants et des êtres sans pensées. Du moment où l’on pense, qu’est-ce que cela ? Aimer, oui, car l’amour est une inépuisable source de réflexions, profondes comme l’éternité, hautes comme le ciel, vastes comme l’univers.

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