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JOURNAL D’UN POÈTE

Les ouvriers sont d’une bravoure de Vendéens ; les soldats, d’un courage de garde impériale : Français partout. Ardeur et intelligence d’un côté, honneur de l’autre. — Quel est mon devoir ? Protéger ma mère et ma femme. Que suis-je ? Capitaine réformé. J’ai quitté le service depuis cinq ans. La cour ne m’a rien donné durant mes services. Mes écrits lui déplaisaient ; elle les trouvait séditieux. Louis XIII était peint de manière à me faire dire souvent : Vous qui êtes libéral. J’ai reçu des Bourbons un grade par ancienneté, au 5e de la garde, le seul, car j’étais, entré lieutenant. Et pourtant, si le roi revient aux Tuileries et si le Dauphin se met à la tête des troupes, j’irai me faire tuer avec eux. — Le tocsin. — J’ai vu l’incendie de la fenêtre des toits. — La confusion viendra donc par le feu. — Pauvre peuple, grand peuple, tout guerrier !

J’ai préparé mon vieil uniforme. Si le roi appelle tous les officiers, j’irai. — Et sa cause est mauvaise, il est en enfance, ainsi que toute sa famille ; en enfance pour notre temps qu’il ne comprend pas. — Pourquoi ai-je senti que je me devais à cette mort ? — Cela est absurde. Il ne saura ni mon nom ni ma fin. Mais mon père, quand j’étais encore enfant, me faisait baiser la croix de Saint-Louis, sous l’Empire : superstition, superstition politique, sans racine, puérile, vieux préjugé de fidélité noble, d’attachement de famille, sorte de vasselage, de parenté du serf au seigneur. Mais comment ne pas y aller demain matin s’il