Page:Vigny - Journal d’un poète, éd. Ratisbonne, 1867.djvu/151

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
141
JOURNAL D’UN POÈTE

un papier, — la bière et le cimetière me semblent préférables.

SOPHIA, JANE, À NAMMWICH. — Deux jeunes sœurs. L’une et l’autre d’une éblouissante blancheur. L’aînée, coiffée en longues et innombrables boucles, a les plus admirables cheveux blonds, un peu colorés de feu, que j’aie jamais vus de ma vie. Grande, souple, gracieuse dans tous ses mouvements. L’autre, décolletée plus qu’on ne l’est au bal en France. Ses épaules et son col de cygne rougissent de temps à autre, quand elle parle, et ces taches larges sont passagères, tandis que son visage reste pâle. Elles ne savent pas un mot de français el m’ont prié d’écrire des vers français dans leur album ; j’ai fait ceux-ci pour elles :

Comme deux cygnes blancs, aussi purs que leurs ailes,
Vous passez doucement, sœurs modestes et belles,
Sur le paisible lac de vos jours bienheurcux.
En langage français, quelques vers amoureux
En vain voudraient vous peindre avec des traits fidèles ;
Vous lirez sans comprendre, et, sur votre miroir,
Comme les beaux oiseaux, passerez sans vous voir !