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ALFRED DE VIGNY

les chenets, un livre sur ses genoux, moi à ses pieds, assis sur un tabouret. Il racontait jusque bien avant dans la nuit des histoires de famille, de chasse et de guerre. C’était pour moi une si grande fête de l’entendre, qu’il m’arriva, plus tard, habillé pour le bal, de laisser là les danses et de m’asseoir encore près de lui pour l’écouter. Les chasses au loup de mon grand-père et de mes oncles, les meutes nombreuses qu’ils faisaient partir du Tronchet et de Gravelle pour dépeupler la Beauce de ses loups ; la guerre de Sept ans ; Paris, Voltaire, Jean-Jacques Rousseau, le baron d’Holbach, M. de Malesherbes et ses distractions, tout était présent à son esprit et l’est encore au mien.

DECEMBRE. — Son visage était angélique dans la mort ; j’ai pleuré à genoux devant elle, j’ai pleuré amèrement, et cependant je sentais que son âme sans péché était délivrée, et, revêtue d’une splendeur virginale, planait au-dessus de moi et de son beau visage, dont les yeux étaient doucement entr’ouverts comme dans le sommeil des bienheureux. Pourquoi donc ai-je tant pleuré ? Ah ! c’est qu’elle ne m’entendait plus et qu’il me fallait garder dans mon cœur tout ce que je lui aurais dit.