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JOURNAL D’UN POÈTE

décident à aller chercher moi-même le médecin. Un quart d’heure me suffit pour le faire lever, habiller, revenir avec moi et mon portier. Il monte et entend ma mère dire très-haut que ce n’est rien ; que, demain, elle sera mieux. « Voilà, me dit-il, une voix forte qui annonce une bonne santé. » Il entre, il était environ deux heures. Il lui tâte le pouls et dit de préparer bains de pieds et sinapismes, écrit une ordonnance de looch avec lenteur, me soutient que son oppression vient d’une affection catarrhale, essaye de me tromper en me parlant dans une autre chambre. Hélas ! mon Dieu ! c’était l’agonie. Je cours à elle, je lui prends la main et lui baise le bras droit. Elle pensait au médecin, qui l’importunait de questions, et disait : « Je ne veux pas le voir ! » Un peu après, pendant que je retournais le chercher dans la salle à manger, elle se penche vers Cécilia et lui dit : « Ah ! ma petite ! la tête me tourne ; nous ne nous promènerons pas demain. Mon fils ! où est mon fils ? » J’accours ; elle était assise sur son lit, je lui baise le front, je la tiens dans mon bras gauche, je serre sa main froide dans ma main droite en lui criant : « Maman ! maman ! chère maman, un mot à ton Alfred, ton fils, qui t’aime, qui t’a toujours adorée ! » Elle me serre la main et laisse tomber sa tête sur sa poitrine. La vie avait cessé. — Je continuais de l’appeler, l’éther que je tenais sous ses narines était inutile. Tout