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JOURNAL D’UN POÈTE

profond la saisit et une indicible stupeur de voir l’absence de la vie et du mouvement.

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VENDREDI 22 DÉCEMBRE. — Après avoir prié sur le cercueil de ma pauvre mère. Mon Dieu ! mon Dieu ! avez-vous daigné connaître mon cœur et ma vie ? mon Dieu ! m’avez-vous éprouvé à dessein ? Aviez-vous réservé la fin de ma pauvre et noble mère comme un spectacle pour me rendre à vous plus entièrement ? Avez-vous donc permis que la mort attendît mon retour ? Son âme, sa belle âme, avait-elle encore assez de force pour s’arrêter et m’attendre ?

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MARDI SOIR… — Aurai-je la force de l’écrire ? Encore cela, ô mon Dieu ! afin que, si j’ai le malheur de vivre et de vieillir, la faiblesse humaine ne me fasse jamais oublier cette nuit fatale et sombre, mais où quelques signes consolants et divins me sont apparus ! Mon Dieu ! je me jette à genoux, à présent, je parle à vos pieds, je m’abreuve de ma douleur, je m’y plonge tout entier, je veux me remplir d’elle uniquement et repasser dans mon âme tous les instants de cette perte de ma mère.