Page:Vigny - Journal d’un poète, éd. Ratisbonne, 1867.djvu/113

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
103
JOURNAL D’UN POÈTE

Il est certain que la création est une œuvre manquée ou à demi accomplie, et marchant vers sa perfection à grand’peine.
Dans les deux cas, soyons humbles et incertains.
Il n’y a de sûr que notre ignorance et notre abandon — peut-être éternel ! …

———

Un acteur prend un drame comme une robe, le revèt, le chiffonne et le jette pour en mettre un autre. Mais cette robe dure plus que lui.

———

Toujours en conversation avec moi-même, je me parle de choses dont les hommes ne se parlent que rarement entre eux ; et c’est une ciiose de jour en jour plus pénible pour moi que de répondre à ceux qui me parlent sur des futilités.
Je pourrais dire à presque tout le monde : « Je voudrais être seul dans ce moment pour écrire ce que je pense tan- dis que vous me parlez. »
La vue des hommes m’irrite à des pensées intérieures, contraires souvent à celles que je dis, et faites pour être tennes en réserve pour un temps meilleur, parce que je sais qu’elles amèneraient de trop longues explications qui me fatigueraient la poitrine. Je me tais et je deviens dis-