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« Que pourra sa pitié ? Ce que toujours on vit,
« Plaindre non l’être mort, mais l’être qui survit ;
« Moi-même j’ai bien cru que la mort d’une amante
« Était le plus grand mal dont l’enfer nous tourmente.
« Ah ! que ne puis-je en paix savourer ce malheur !
« Il serait peu de chose auprès de ma douleur.
« Dans son temps virginal que ne l’ai-je perdue !
« À se la rappeler ma tristesse assidue
« La pleurerait sans tache, et distillant mon fiel,
« Je n’aurais qu’à gémir et maudire le Ciel.
« Je dirais : Héléna ! que n’es-tu sur la terre ?
« Tu laisses après toi ton ami solitaire,
« Renais ! Que ta beauté, belle de ta vertu ;
« Vienne au jour, et le rende à mon cœur abattu.
« Mais de pareils regrets la douceur m’est ravie,
« Il faut pleurer sa mort sans regretter sa vie ;
« Et si ces restes froids cédaient à mon amour,
« J’hésiterais peut-être à lui rendre le jour.
« Malheur ! je ne puis rien vouloir en assurance,
« Et dédaigne le bien qui fut mon espérance !
« Héléna ! nous n’aurions qu’un amour sans honneur :
« Va, j’aime mieux ta cendre encor qu’un tel bonheur.