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pour rencontrer sur la rive gauche le contre-poison.

Quant à l’auteur, peu inquiet de sa mise en accusation, il passa aussi les ponts ; mais ce fut pour entrer ici, à l’Académie française.

On se donnerait moins de peine pour détruire ce qu’une fois l’enthousiasme a élevé en France, si l’on considérait combien ce qu’il y construit est solide. Notre nation, que l’on ne cesse d’accuser et qui veut bien elle-même s’accuser d’inconstance, n’abandonne jamais un succès qu’elle a fait, et lui conserve toute la fraîcheur de son jour de naissance. Elle le reprend, elle le pare de nouveau ; elle le rajeunit par une larme, s’il est sombre, par un sourire, s’il est enjoué. Tout est classé dans son trésor, et rien n’y perd jamais son rang.

Ce fut alors que, dans le discours que M. Étienne prononça devant vous, écrit ingénieux où il démontrait que les comédies sont les portraits de famille des nations, il vous rappela, Messieurs, un écrivain qu’il remplaçait, et dont le nom seul peut servir à mesurer ces rapides changements de l’esprit des lettres dont j’ai dit un mot. C’était M. Laujon, qui avait écrit la Poétique de la chanson. J’ai, je m’en accuse, le tort particulier à ma génération, de ne pas assez regretter la gaieté de l’ancien Caveau, où se réunissaient, dit-on, les disciples