Page:Vigny - Œuvres complètes, Stello, Lemerre, 1884.djvu/460

Cette page n’a pas encore été corrigée

ardente que dans des ouvrages plus jeunes.

La question que traite la comédie des Deux Gendres, Messieurs, est une des plus graves qui aient jamais occupé l’âme entière du poète, du philosophe et du législateur. Or, le grand artiste doit sentir en lui quelque chose de ces trois hommes à la fois.

Le but du théâtre n’est pas seulement d’enlever tous les âges aux soins et à l’oppression habituelle de la vie.

« Les dieux, dit quelque part Sénèque, pensent que la lutte d’un homme de bien contre ses passions ou contre l’adversité est un spectacle digne d’eux. »

Dans cette comédie, c’est contre l’adversité que lutte l’homme de bien ; il n’a plus l’âge des passions. Il est deux fois père, il a sur son front la double majesté de la vertu et de la vieillesse.

Quelle est donc son adversité ? l’abandon. Quelles mains le frappent ? celles de ses enfants. Pour quelle faute ? parce qu’il a été trop bon, trop grand, trop père, trop sublime ; parce qu’il s’est dépouillé pour eux de son vivant, parce qu’il leur a partagé ses biens, parce qu’il s’est ouvert les entrailles et leur a donné son sang et son cœur.

Et pourquoi ce partage, pourquoi ce sacrifice ? Car s’il se dépouille ainsi et se met à la merci de ses enfants, ce n’est pas qu’il ne sache