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— « Ah ! dit le Voyageur, la hauteur où nous sommes
De corps et d’âme est trop pour la force des hommes.
La tête a ses faux pas comme le pied les siens ;
Vous m’avez soutenu, c’est moi qui vous soutiens,
Et je chancelle encor, n’osant plus sur la terre
Contempler votre ville et son double mystère.
Mais je crains bien pour elle et pour vous, car voilà
Quelque chose de noir, de lourd, de vaste, là,
Au plus haut point du ciel, où ne sauraient atteindre
Les feux dont l’horizon ne cesse de se teindre ;
Et je crois entrevoir ce rocher ténébreux
Qu’annoncèrent jadis les prophètes hébreux.
Lorsqu’une meule énorme, ont-ils dit… — Il me semble
La voir. — …apparaîtra sur la cité… — Je tremble
Que ce ne soit Paris. — …dont les enfants auront
Effacé Jésus-Christ du cœur comme du front
Vous l’avez fait ! — …alors que la ville enivrée
D’elle-même, au plaisir du sang sera livrée
Qu’en pensez-vous ? — …alors l’Ange la rayera
Du monde, et le rocher du ciel l’écrasera. »

Je souris tristement : — « Il se peut bien, lui dis-je,
Que cela nous arrive avec ou sans prodige ;
Le ciel est noir sur nous ; mais il faudrait alors
Qu’ailleurs, pour l’avenir, il fût d’autres trésors,