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ÉLOA.

« Sur l’homme j’ai fondé mon empire de flamme
« Dans les désirs du cœur, dans les rêves de l’ame,
« Dans les liens des corps, attraits mystérieux,
« Dans les trésors du sang, dans les regards des yeux.
« C’est moi qui fais parler l’épouse dans ses songes ;
« La jeune fille heureuse apprend d’heureux mensonges ;
« Je leur donne des nuits qui consolent des jours,
« Je suis le Roi secret des secrètes amours.
« J’unis les cœurs, je romps les chaînes rigoureuses,
« Comme le papillon sur ses ailes poudreuses
« Porte aux gazons émus des peuplades de fleurs,
« Et leur fait des amours sans périls et sans pleurs,
« J’ai pris au Créateur sa faible créature ;
« Nous avons, malgré lui, partagé la nature :
« Je le laisse, orgueilleux des bruits du jour vermeil,
« Cacher des astres d’or sous l’éclat d’un Soleil ;
« Moi, j’ai l’ombre muette, et je donne à la terre
« La volupté des soirs et les biens du mystère.